• Chronique d'un voyage hors des sentiers battus (1ère partie)

    Il était prévu au programme avec Yared que nous partions en repérage pendant quelques jours. Pendant plusieurs jours, nous nous sommes demandé ce qu’il y avait de mieux : le nord pour trouver des espaces de camping chez l’habitant ? le sud parce que je connais pas du tout et qu’il faudrait aussi trouver d’autres itinéraires ? Ou alors dans le nord mais des pistes qui ne sont pas parcourues par les hordes de touristes ? Rassurez vous, les hordes ne sont pas encore réellement des hordes… mais bon, ça commence à faire ! Finalement c’est la dernière option que nous avons choisie.

     

    Chronique d'un voyage hors des sentiers battus (1ère partie)


    Nous avons commencé notre voyage jeudi 24 mai, départ à 7h30. Le temps de récupérer tout le monde, nous avons quitter Addis à 9h00, avec matériel de camping et balluchons. Dans la voiture : Makonnen, Besu Fekad, Leonardo, Arefayne et moi. On ne pouvait pas mettre grand chose ou grand monde en plus !

    équipe de la folle épopée

    De gauche à droite : Makonnen, Léonardo, Aréfayné et Besu Fekad

    J’ai enfin compris pourquoi les paysages m’impressionnaient autant depuis toutes ces années. Je pense qu’avant, il y a très, très longtemps, l’Ethiopie était habitée par des géants. Tout est à leur dimension. Le ravinement des piémonts rappelle le dessin laissé par la mer sur le sable. Vous savez quand la mer creuse un peu le sable en se retirant. Si j’ai l’occasion cet été, je prendrais une photo et je ferai la comparaison. Quoiqu’il en soit, là où nous sommes passés, ces géants ont dû s’amuser à décrocher des blocs de pierre comme nous nous pouvons casser une pierre de sucre en deux.

    un pays de géants

    Arrêt pour manger dans le village de Fitra. C’était le jour du marché. Nous sommes aller y faire un tour. Stupéfaction des gens qui m’a un peu intimidée, du coup pas des masses de photos. Mais cette première demi-journée était un bonheur : certes j’étais suivie par tous les regards mais je n’ai entendu aucun « farenj, farenj » ou « you, you » ou « give me money », etc. Ce midi-là, j’ai mangé le premier tibs d’un longue série… Le tibs est un plat de viande (du bœuf, du mouton ou de la chèvre) coupée en dés, cuite dans le beurre local avec des épices ; les légumes : des piments verts et des oignons. C’est super bon mais la répétition peut être lassante.

    pas de "farenj, farenj"

     

    boucherie boucherie

    Voilà à quoi ressemble une boucherie en dehors d'Addis-Abeba... On n'a pas mangé là !

     

    Dans l’après-midi, nous sommes arrivés à Alem Katama, ce qui signifie en amharique la ville du monde, mais ce serait plutôt un des trous du cul du monde… Petit hôtel avec comme compagne de chambre une gigantesque araignée… Je vais bien dormir moi… Les toilettes, s’il faut y aller, mieux vaut que ce soit le matin, quand l’hôtel a récupéré de l’eau et a pu nettoyer… Début là aussi d’un longue série…. Fin d’après-midi, balade dans la ville. Passage par le centre pour les jeunes : démonstration de danses et de chants traditionnels. Discussion avec des personnes de l’hôtel : la piste qu’on envisageait de prendre n’est pas terrible, loin de là, il faut la faire avec plusieurs véhicules sinon mieux vaut s’abstenir. C’est ballo, on a un seul véhicule. On s’abstiendra donc. Pendant cette discussion toute en amharique, une femme était en train de faire de la vannerie. J’ai donc pu observer la technique, un travail de fourmi !

    vannerie

    Vendredi matin : départ 6h30 en direction d’une église à quelques kilomètres là-haut, dans la montagne. A 6h30, ce n’est pas possible de prendre un petit déjeuner. La balade n’était pas longue mais une grimpette le ventre vide, je ne suis pas fan. Enfin le plus dur n’est pas de monter mais de descendre quand la pente est abrupte, dérape et qu’on a un peu le vertige. « L’ai-je bien descendu ? »… Pas vraiment mais l’essentiel est d’arriver en bas et exit l’élégance ! Après cette petite balade matutinale, le petit-déjeuner est arrivé : tibs ! Mais c’était bon ! Le meilleur de cette semaine je crois… peut-être parce que j’avais faim ? Départ en direction d’Adjibar en passant par Dengore, Mida, Belew, Dogollo, Worellu, Segno, Kabe, Guguftu et certainement enore d'autres petites bourgades dont je n'ai pu noter, comprendre le nom.

    Là, j’en ai pris plein les yeux : les paysages, les habitations et deux loups d’Abyssinie, animal en voie de disparition. Une grande chance donc !

    paysage 

    paysages 

    paysage 

    maison 

    loup d'Abyssinie

    la petite bête rousse... C'est lui, le loup d'Abyssinie !

    paysage

    paysage caractéristique de plus de 3000 mètres d'altitude, lieu du loup d'Abyssinie

    paysage

     

    Arrivée à Adjibar en fin d’après-midi. Nous avons trouvé un petit hôtel (avec des toilettes qui ne sentaient même pas) et découvert la bourgade. Rencontre mémorable avec deux personnes de cette ville, les deux excentriques de la ville  je suppose. Bon comme toute était en amharique, je n’ai pas compris grand chose mais la gestuelle et les expressions valaient le détour.

    rencontre

    Samedi départ, après un petit déjeuner d’oeufs en direction de Tenta, puis de Maqdalla, la citadelle de Tewodros.

    Kassa deviendra Tewodros II, négus, c’est-à-dire roi des rois, de 1855 à 1868. Il n’était pas un descendant direct de la lignée royale. Fils et neveu de guerriers morts au champ d’honneur, Kassa s’enrôle dans l’armée de Kenfou pour défendre le petit territoire du Qwara (à l’ouest) contre les Turcs noirs, population du Soudan. Kenfou meurt lors d’une bataille et les rois de Gondar s’emparent de ses terres. Au Qwara, la mort de Kenfou place entre les mains de Kassa, son neveu, le devoir de venger les siens. Pour revendiquer ses droits, il n’a qu’un seul et noble moyen : lever des troupes et déclarer sa vengeance. Sa révolte permit aux paysans opprimés de se ranger sous sa bannière. Kassa était alors un chifta, un chef de brigands, redoutable. En moins de sept ans, Kassa a conduit une marche qui l’a mené du Qwara à Gondar, cité impériale. Pendant les deux années suivantes, Kassa occupe le peu de temps que lui laissent ses nombreuses campagnes pour agrandir l’empire, à construire des routes et à consolider son armée. Après avoir vaincu le roi du Tigray et du Simiens, il se fait couronner le 8 février 1855 sous le nom de Tewodros II. Cette même année, il poursuit son expansion territoriale et intègre la province du Wollo à son empire, puis celle du Choa. Pour tenir en respect ces provinces nouvellement conquises, il fit construire à Maqdalla, au somme d’un amba, une ville-forteresse.

    Le pays dont il assume le destin appelle des réformes militaires, administratives, sociales et religieuses. Tewodros s’intéresse aussi à l’industrialisation, principalement celle des armes. Il crée tout d’abord une armée nationale, il mit en place un système de solde levant ainsi le tribut dont les paysans devaient s’acquitter en hébergeant et nourrissant les armées féodales jusqu’alors. La popularité de cette mesure ainsi que ces victoires incessantes permirent à Tewodros II d’affirmer son autorité. La réforme administrative se traduisit par la mise en œuvre d’un système fiscal et d’une organisation judiciaire centralisés, mettant un terme aux exactions locales mais aussi enlevant tout emprise aux autorités traditionnelles. Parmi les réformes sociales, il tenta de mettre un terme à la traite et aux commerces des esclaves. Malgré son aura, Tewodros ne parvient pas à réformer réellement son empire. Apathie des masses ? Égoïsme des nobles ? Résistance passive du clergé ? Devant l’évidence de l’échec, Tewodros II ne sachant à qui s’en prendre, s’attaque une nouvelle fois au clergé. Le chef spirituel de l’église, l’Abouna Salama, s’insurge. Tewodros II le met en relégation à Maqdalla en 1864. Le peuple se rallie alors au clergé contre l’empereur, dont l’image tourna bientôt à l’Antéchrist. De leur côté, les notables déchus en profitèrent pour attiser les luttes souterraines qui reprenaient dans les provinces soumises. Les agitations sporadiques se transformèrent progressivement en révolte généralisée de la paysannerie chrétienne. L’armée impériale chargée de mater les révoltes, commit des excès et alla jusqu’à piller les marchés et les caravanes. L’insécurité générale entraina le refus des marchands musulmans de vaquer à leur commerce. L’empereur réagit en proscrivant l’islam dans tout l’empire. Une double crise religieuse et économique ruine définitivement la popularité de l’empereur lorsqu’en 1867 la nouvelle de la mort de l’Abouna porte au comble la colère des chrétiens, des désertions massives de soldats impériaux. L’empire de Tewodros se disloque et ne lui laisse en 1868 qu’une armée de 5000 hommes rassemblée à Maqdalla. Voyant le pouvoir éthiopien faible à nouveau, les Égyptiens et les Soudanais reprennent leurs raids frontaliers. Pour les repousser, Tewodros sollicite le soutien de la Grande-Bretagne dont il avait reçu comme gage d’ « amitié » une paire de pistolets portant cette inscription sur la crosse : « Présent de Victoria, Reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, à Tewodros, empereur d’Éthiopie (…) ». Le silence de la Grande-Bretagne fut vécu comme une insulte, le déplacement au Soudan du consul de Grande-Bretagne fut vécu comme une trahison. Tewodros fit alors mettre en détention tous les artisans européens et les missionnaires protégés par l’Angleterre. Les artisans relégués à Gafat reçurent l’ordre de fondre des canons et autres armements. Le consul à son retour du Soudan, fut aussi jeté en prison. L’empereur s’adresse alors à Napoléon III qui accepte de l’assister si Tewodros autorise des missions catholiques en Éthiopie. Tewodros en appelle alors au Tsar de Russie mais la guerre de Crimée ruina ses projets. Quelle ne fut pas son amertume en apprenant que dans cette guerre l’Angleterre et la France se rangeaient du côté de la Turquie contre le Tsar chrétien ? Par solidarité pour le frère orthodoxe ou peut-être pour dissimuler sa déconvenue, il baptisa « Sebastopol » un des canons que les artisans captifs avaient fondu. Après quelques tentatives de régler ce conflit à l’amiable entre l’Angleterre et l’Éthiopie, en août 1867, une lettre péremptoire arrive à Gondar : c’était l’ultimatum britannique auquel Tewodros ne daigna pas répondre.

    L’Angleterre confia au général Napier le soin de conduire une expédition en Abyssinie  pour délivrer les otages. Le contingent britannique se composait de 13000 soldats. La bataille finale d’Arogué, le 10 avril 1868 promettait d’être glorieuse mais elle fut gâchée par une pluie diluvienne qui mit hors d’usage les fusils à mèche de l’armée de Tewodros. L’armée britannique n’eut plus qu’à tirer sur des soldats incapables de riposter. Tewodros  envoie alors les captifs à Napier. Les observateurs étrangers que l’on avait apitoyés sur le sort des prisonniers (ça n’est donc pas nouveau comme technique, donc ?!) s’étonnent du traitement favorable que les otages ont reçu pendant leur détention. Autre surprise : le 13 avril, Tewodros II se donne la mort à coup de pistolet. La rumeur dit que c’est avec les pistolets offerts par Victoria qu’il se serait donné la mort. Napier après avoir pillé la bibliothèque impériale, ordonne alors que l’on mette le feu à Maqdalla .

    Le suicide royal absout les crimes du roi et met du baume au cœur du peuple. Les circonstances de sa mort ont fait de lui un héros pour avoir refusé l’humiliation de la soumission.

    (Berhanou Abebe, 1998 – Histoire de l’Éthiopie, d’Axoum à la Révolution – Maisonneuve et Larose, CFEE, Paris – pp. 88 à 101)

    Aujourd’hui, Tewodros porte toujours cette image d’insoumis. On vante sa vision moderne de l’État. Aller à Maqdalla semble avoir été un grand moment pour mes collègues éthiopiens. Pourtant, il ne reste plus grand chose de la ville-forteresse. : un pan de mur du palais et la tombe de l’empereur. Avec des petits murs de pierres, l’emplacement de l’église – dans lequel un ânon pâture -, le lieu où Tewodros s’est suicidé, le lieu d’atterrissage de l’hélicoptère de Mengistu sont délimités. Cela nous demande à nous qui sommes étrangers à l’histoire de l’Éthiopie, un gros, gros effort d’imagination. Mais pour le panorama, la balade vaut le détours ! Et puis peut-être qu’un jour, on pourra créer un formidable « sons et lumières » dans cet endroit pour reconstituer cette épopée fantastique !

    Sebastopol

    Le canon Sebastopol

    paysage de Maqdalla

    Au sommet de la montagne, l'amba, il y a Maqdalla

    ruines du château de Tewodros II

    Voilà les ruines... Les Anglais et le temps qui passe ont été méthodiques dans leur destruction.

    vue depuis Maqdalla

    Depuis cette place forte, dont l'accès était difficile (et qui n'est toujours pas évident aujourd'hui), Tewodros II était à "deux pas" du Wollo et du Choa.

    tombe de Tewodros

    C'est à cet endroit que Tewodros est enterré

    portrait de Tewodros II 

    La façon dont il se coiffait ne rappelle t’elle pas les coiffures que l’on voit aujourd’hui sur certains jeunes ?


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