• Chronique d'un voyage hors des sentiers battus (2ème partie)

    Une église introuvable et un village utopique...

    Après Maqdalla, nous avons cherché l’église construite par Ras Mikael mais on l’a raté. Pourtant c’était juste 5 kilomètres après Tenta…

    Mohammed Ali (je ne fais pas référence au boxeur, on est d’accord !) naît dans le Wollo en 1850. Il devient proche de Ménélik II (dont je vous raconterai l’histoire un peu plus tard) et lui apporte son soutien lors de son couronnement. En 1874, Ménélik (qui régna de 1865 à 1913) le nomme gouverneur du Wollo. Mohammed Ali se convertit christianisme orthodoxe et impose la nouvelle religion à la population locale dont une partie décide de quitter la région. Mohammed est alors baptisé Mikael et promu au rang de Ras (je crois que c’est un titre militaire). Il se marie à une fille de Ménélik II et fonde la ville de Dessie. Il y a fait construire l’église Enda Medhan Alem sur une colline couverte de genévriers sur l’emplacement de ce qui avait été une autre église détruite lors du djiad d’Ahmed Gragn. En 1896, Ras Mikael participe à la bataille d’Adoua (grande victoire éthiopienne contre les forces armées de l’Italie. Dans une époque d’expansion colonialiste des grandes puissances européennes, ce n’est pas rien… D'ailleurs, Teddy Afro, la star nationale, a sorti il y a quelques semaines un CD intitulé Tikur Sow dont le titre principal rend hommage à Ménélik II. Vous pouvez voir la vidéo qui est une reconstitution de la bataille d'Adoua sur le blog d'Arefayne, http://arefe.wordpress.com/) où il est à la tête de la puissante cavalerie Oromo. Après la mort de Ménélik II et l'arrivée au pouvoir de Lidj Iyasu (son fils), Ras Mikael joue un rôle important auprès du pouvoir impérial. Le comportement de Lidj Iyasu envers l'Islam - une possible conversion a été évoquée - inquiète le clergé et la noblesse qui décident de le renverser afin de nommer Zewditou Nigiste Negest (c’est-à-dire reine des rois) de l’empire. Le 7 octobre, Ras Mikael réagit en envahissant la province du Choa depuis le Wollo avec une armée de 80 000 hommes afin de rétablir son fils au pouvoir. Le 27 octobre 1916, les troupes du Ras Mikael affrontent les forces armées de Zewditou. Le conflit s'achève par la défaite de Mikael qui fut emprisonné et exilé sur une île du lac Chabo en pays Guragué. Il demanda à Zewditou de quitter l'île, requête qui fut acceptée et il fut alors emprisonné à Holeta Genet où il meurt le 8 septembre 1918.

    statue du Ras Mikael

    À défaut d'église...

    Arrivée à Gashena, ville où on l’on bifurque pour Lalibela (tout droit), Woldiya ( à droite) et Bahirdar (à gauche). Lorsque j’ai séjourné à Lalibela, j’ai deux ou trois fois l’occasion de passer par Gashena. Je n’avais pas vraiment aimé cette petite ville qui a tout d’une aire d’autoroute ou d’un énorme restaurant routier. L’impression se confirme. Enfin, vu l’heure, il n’y avait pas d’autre solution que d’y passer la nuit. Je n’allais pas demander à Makonnen et Besu Fekad d’enquiller deux nouvelles heures de conduites pour pouvoir atteindre une ville plus sympathique ! Nous avons pris nos quartiers à la pension Tsegay… Rencontre avec les puces et autres vermines. Heureusement il faisait très froid ce soir-là, j’ai donc utilisé fort à propos l’option « sarcophage » de mon sac de couchage ! Les toilettes, je n’oserais vous les décrire mais je vous mets une photo !

    toilettes de Tsegay pension à Gashena

    Remarquez le balai...

    Dimanche matin, départ tranquille en direction de Bahirdar avec quelques arrêts en route. Première étape (avant le petit déjeuner évidemment) : l’église Tchetcheho. C’est église n’a présente pas un grand intérêt architectural à mes yeux de béotienne mais elle tient une grande place dans le cœur des éthiopiens chrétiens du fait d’une chanson qui l’a rendu célèbre. Je ne saurai dire qui chante ou a chanté cette église. En fin de matinée, nous nous sommes arrêtés au village d’Awra Amba. Depuis qu’Odile m’avait fait parvenir un article sur ce village, j’avais très envie d’aller y faire un tour. Monpays Tours a exaucé mon souhait !

    Awra Amba est un village et une communauté d’environ 400 membres,  située à 74 kilomètres à l’est de Bahar Dar dans la région Amhara, au nord-ouest de la capitale Addis Abeba à près de 1900 mètres d’altitude.

    Awra Amba est à première vue, un village comme les autres. Mais à y regarder de plus près, on remarque une situation très inhabituelle : des femmes qui labourent, des hommes qui cuisinent.

    Ce village est né d’un rêve de Zumra Nuru qui a pris corps en 1972 (je suis sûre que nous serons d'accord pour dire que c'est une année exceptionnelle, non ?) avec 66 autres personnes, pour résoudre des problèmes socio-économiques par l’entraide, grâce un esprit égalitaire et exempt de sexisme, en rupture avec les traditions du peuple amhara. Entre 1972 et 1993, la communauté connut de nombreux aléas et dû même quitter le village en 1989 pour échapper à des menaces.

    Depuis 1993, la communauté ne cesse de s’agrandir. En 2010, elle comptait 412 membres répartis en 119 foyers. Tous sont de culture,  de religion et d’ethnie différentes mais se retrouvent tous autour des mêmes idéaux qu’ils mettent en œuvre chaque jour.

    En Éthiopie, les taches sont réparties de façon traditionnelle : les hommes aux travaux des champs soutenus par les femmes et les enfants, les femmes aux travaux domestiques. Dans ce village, les tâches ne sont pas attribuées en fonction du sexe mais des capacités et des envies de chacun.

    Le droit des femmes est strictement respecté. Les mariages précoces et/ou arrangés sont interdits. La contraception est encouragée et couramment pratiquée, comme ailleurs en Éthiopie. Le droit à l’avortement, qui est interdit mais ouvertement discuté en Éthiopie, n’est pas revendiqué par la communauté qui estime que cela reste une affaire privée.

    Les valeurs morales sont très fortes dans cette communauté. L’honnêteté est l’une des valeurs essentielles et hautement revendiquée. Chaque membre de la communauté se doit d’être honnête et vivre en paix. À Awra Amba, pas un enfant ne demande quoique ce soit, chose surprenant dans un pays où la mendicité est omniprésente. En outre, chacun doit se priver d’alcool, de cigarettes, de qat et même de café, produits considérés comme dangereux pour l’équilibre psychique. La communauté ne transige pas non plus en matière de mœurs : les relations sexuelles sont interdites avant le mariage ainsi que l’adultère.

    La communauté d’Awra Amba ne suit aucune religion. Ils reconnaissent au travers de chaque religion un dieu créateur commun (et je ne pense pas qu'ils aient lu Voltaire pour la grande majorité !). Ils ne lui donnent pas de nom car selon eux, c’est ainsi qu’on divise les hommes. Les habitants ne respectent donc pas les nombreuses fêtes religieuses du calendrier éthiopien. Le seul jour férié reconnu est le premier jour de l’an, aux environs du 10 septembre.

    La solidarité est un des fondements de la communauté. Les membres de la communauté consacrent une journée par semaine à l’aide aux personnes âgées et aux malades. Les jeunes mères ont trois mois de congé maternité. Les malades sont soignés par un infirmier employé par le village. Les personnes âgées qui ne sont plus en mesure de travailler sont prises en charge par la communauté, hébergées, nourries et soignées gratuitement.

    L’accès à l’éducation est un droit inaliénable des enfants du village. Tous les enfants vont à l’école et la communauté assure que tous ses habitants savent lire et écrire.

    La démocratie est au cœur de la vie politique de la communauté. Cette dernière est gérée par 13 comités élus tous les 3 ans en assemblée générale par un vote à main levée. Quant aux décisions les plus importantes, elles sont soumises au vote de l’ensemble des adultes.

    Ne pouvant vivre uniquement de l’agriculture étant donné la pauvreté et la rareté du sol, les habitants ont diversifié les activités économiques : tissage, meunerie et commerce.

    L’organisation de l’habitat répond à des normes d’hygiène et de confort : chaque maison est équipée d’un poêle, de l’électricité et chaque foyer dispose de toilettes à la turque situées en dehors du village. L’eau est disponible à 4 fontaines publiques.

    Depuis peu, et face à l’intérêt suscité par leur communauté, les villageois ont construit un « hôtel » au sein du village. Des petites chambres, il est vrai un peu monacales, avec douches et toilettes communes permettent à ceux qui le désirent de rester quelques jours dans ce village.

    Cela aura été une visite surprenante pour moi et surtout rassurante. Depuis le temps que je me dis que l’on peut sortir par sa propre réflexion d’un système fermé de pensée, Zumra en est un bel exemple. Cet homme sait tout juste écrire son nom. C’est sa propre réflexion sur son expérience et son vécu qui l’a amené à réfléchir les choses autrement. Il n’y a donc pas toujours besoin d’avoir lu tous les philosophes de France et de Navarre pour être un libre penseur.

    En tant que français qui pratiquons le doute comme sport national et, il est vrai que cela pose aussi des questions à laquelle une visite de deux heures ne peut répondre. Les habitants de ce village ont-ils cette même liberté de penser ou appliquent-ils un dogme ? Zumra ne serait-il pas une sorte de gourou ? Quelle est la réelle liberté des villageois de quitter la communauté s’ils n’adhèrent pas à l’ensemble des règles adoptées par le groupe ? Ce que l’on nous montre lorsque l’on visite le village est-ce vraiment la réalité ?

     J’ai vu un endroit paisible, une école propre, bien entretenue, une bibliothèque bien fournie avec des livres, des cartes permettant de s’ouvrir au monde, un endroit où les personnes âgées sont traitées avec déférence et décence, un système de cuisine aménagée réellement intelligent, des femmes travaillant au métier à tisser. Des éléments montrant une intelligence au quotidien.

    A ce stade de ma connaissance du village, j’aime à penser que l’énergie des humanistes depuis Thomas Moore jusqu'aux idées des années 70 s’est propagée jusque dans cette petite partie de l’Ethiopie. 

    « Beaucoup me parent du qualificatif d’illuminé, d’utopiste. Je les en remercie. L’utopie ne signifie pas l’irréalisable, mais l’irréalisé. L’utopie d’hier peut devenir la réalité » (Théodore Monod).

    école d'Awra Amba

    école du village d'Awra Amba

    bibliothèque

    la bibliothèque

    cuisine d'une maison

    Toutes les cuisines sont sur le même modèle, un système "beutam gobus" (vraiment intelligent): pas de perte d'énergie, un petite consommation de bois, évacuation de la fumée, etc. Une idée qui se devrait d'être reprise !

    En procrastinant sur le net, j'ai trouvé un blog "les tribulations d'Antoine" dont un article parle de ce village. Ce journaliste-photographe y est resté une semaine. Je vous laisse consulter son avis.

    Nous sommes arrivés à Bahirdar dans l’après-midi où nous avons trouvé une petite pension de rêve : chambre propre sans colocataire à multiples pattes et proposant des toilettes individuelles, propres et douches avec eau chaude. Bon, je ne suis pas toujours très douée, je n’ai pas réussi à faire fonctionner l’eau chaude. Pourtant j’ai mis l’interrupteur dans la bonne position… Enfin, de toute façon après trois jours sans douche, froide ou pas, c’était douche et shampoing ! En fin d’après-midi, je me suis baladée dans la ville en quête d’une bombe insecticide… à titre préventif ! Je ne savais pas sur quel hôtel nous allions tomber les prochains soirs. Autre chose notable ce jour-là : du poisson au déjeuner et au dîner ! Ce qui m’a rendu un peu patraque dans la nuit… Bien ma veine !


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